12 raisons de ne pas écoconcevoir un service numérique
Depuis quelques années, l’écoconception de service numérique prend de l’ampleur. Toutefois, il faut reconnaître que ceci ne se fait pas sans heurt. L’objet de cet article est de s’intéresser aux freins à l’adoption de l’écoconception. Il s’inspire très fortement de l’article de Perrine Croix (12 excuses de l’inaction en accessibilité et comment y répondre) qui est lui-même l’adaptation d’un article de l’université de Cambridge (Discourses of climate delay [PDF, EN]).
Les excuses
- Ça coûte trop cher
C’est vrai et c’est normal, au moins le temps de monter en compétence et de mettre en place la démarche pour qu’elle fasse partie intégrante d’un tout. Mais c’est aussi un moyen de réduire les coûts : déprioriser une fonctionnalité peu utile/utilisée/utilisable en raison de ses impacts environnementaux, produire un service numérique plus facile à maintenir, réduire les besoins d’infra pour faire tourner et stocker. C’est par exemple là que le DevGreenOps rejoint le FinOps.
Enfin, l’écoconception est un sujet de Qualité qui a pour contrepartie de réduire son coût de possession : utilisation possible sur un panel plus large d’équipements, service moins coûteux à maintenir, etc.
2. Ça prend trop de temps
Oui, implémenter l’écoconception prend du temps mais l’amélioration continue et l’automatisation permettent de réduire ce temps. De même, la priorisation basée sur les aspects environnementaux peut permettre de réduire le temps nécessaire pour concevoir le service numérique en se limitant à ce qui est strictement nécessaire pour l’utilisateur : retirer des fonctionnalités du périmètre, simplifier les parcours utilisateur, etc.
3. L’équipe n’a pas les compétences nécessaires
Il est en effet possible que certains collaborateurs n’aient pas encore certaines compétences en écoconception. Toutefois, comme on l’entend souvent par ailleurs, une bonne partie des choses à savoir reposent sur du bon sens ou sont déjà abordées pour l’accessibilité ou la performance. Les ressources en ligne abondent, qu’il s’agisse d’articles, d’outils ou de référentiels. De plus, cette montée en compétences améliore souvent la motivation des personnes concernées et peut même devenir attractive pour ceux qui souhaiteraient rejoindre une organisation plus engagée dans cette trajectoire.
Bien entendu, vous avez également la possibilité de vous faire accompagner, que ce soit pour la montée en compétences de vos collaborateurs ou pour vous appuyer sur des experts du sujet.
4. Il n’y a pas de consensus sur l’estimation des impacts environnementaux d’un service numérique
C’est vrai et on trouve aujourd’hui plusieurs modèles de projection environnementale qui co-existent. L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) aborde en ce moment le sujet sous l’angle des RCP (référentiels méthodologiques d’évaluation environnementale par catégorie de produit). Pour autant, l’absence de consensus ne doit pas être un frein à l’action. Même s’ils ont des limitations connues, les outils et référentiels existent. De même que dans le cadre plus global du dérèglement climatique, il y a urgence à agir.
Attention : selon la méthodologie et les outils, les résultats peuvent grandement varier et certaines surconsommations (et pistes d’optimisation) pourraient ne pas être décelées. Voir à ce sujet cet article : https://greenspector.com/fr/reduire-poids-page-web-quels-elements-plus-impactants/
5. Pas besoin de faire de l’écoconception, nous faisons déjà de la performance
L’écoconception rejoint la performance sur de nombreux points, notamment pour l’optimisation technique. Si vous êtes déjà beaucoup impliqué sur le sujet de la performance des services numériques, il y a fort à parier que ceci contribue à réduire leurs impacts environnementaux. Toutefois, il y a également quelques sujets de divergence entre les deux approches. En effet, la performance est parfois améliorée en décalant le chargement ou l’exécution de certaines ressources ou en anticipant leurs chargements au cas où l’utilisateur effectuerait certaines actions. Cette amélioration de l’efficience et de la performance ressentie ne doit pas faire perdre de vue la nécessité de sobriété (faire la même chose mais avec moins : par exemple moins d’images) et de frugalité (renoncer à quelque chose : par exemple un robot conversationnel basé sur de l’intelligence artificielle).
Il reste discutable de chercher à rendre plus rapide un composant qui dégrade l’accessibilité, l’écoconception ou tout autre aspect lié au Numérique Responsable.
La performance n’est que l’un des indicateurs de l’écoconception mais il ne doit pas être le seul.
6. Le site le mieux écoconçu est celui qui n’existe pas
C’est vrai mais ce n’est pas forcément celui qui répond le mieux aux besoins de vos utilisateurs. Afin de s’en assurer, le RGESN (Référentiel général de l’écoconception de services numériques) propose dès son premier critère de prendre en compte les impacts environnementaux en fonction de la nécessité du service (critère 1.1 avec notamment le questionnaire des Designers Ethiques). Il est également important de se poser ces questions et d’effectuer des mesures avant d’envisager la refonte d’un service numérique (dont les impacts environnementaux pourraient être ainsi dégradés)
7. Un site écoconçu est forcément moche
Cette question se retrouve aussi souvent au sujet de l’accessibilité. Ces deux sujets sont avant tout des contraintes de conception qui peuvent améliorer la créativité et les exemples sont de plus en plus nombreux. Un article à ce sujet a été proposé : https://greenspector.com/fr/un-site-sobre-est-il-necessairement-moche/
8. C’est l’affaire des développeurs
Si les développeurs sont bel et bien concernés, ils ne sont pas les seuls. En effet, leur périmètre d’action se limite souvent à l’efficience ou optimisation technique. Ils seront souvent limités dans leurs actions par des décisions qui ne dépendent pas d’eux : limiter le nombre de médias ou de services-tiers, choisir un hébergeur moins impactant, supprimer certaines fonctionnalités, etc. L’impact du code est largement inférieur à celui des choix de conception. Les compétences du développeur restent essentielles au bon déroulement de la démarche d’écoconception mais celle-ci est bien plus large que cela, que ce soit dans le cycle de vie du service numérique ou dans les rôles concernés.
En complément, le développeur peut avoir un devoir de conseil sur des surconsommations liées au fonctionnel, à l’ergonomie, à des choix graphiques ou même aux contenus publiés.
9. Les impacts environnementaux du numérique sont négligeables par rapport à ceux d’autres domaines
Les études publiées depuis quelques années tendent à prouver le contraire, par exemple : https://presse.ademe.fr/2023/03/impact-environnemental-du-numerique-en-2030-et-2050-lademe-et-larcep-publient-une-evaluation-prospective.html
L’impact environnemental du numérique apparaît non-négligeable, en particulier en raison des impacts sur les terminaux utilisateurs dont la fabrication est critique de ce point de vue. De plus, le contexte d’urgence climatique, incite à agir de façon aussi holistique que possible. D’autant plus que les apports de l’écoconception sur l’expérience utilisateur sont de mieux en mieux documentés.
10. Greenwashing
Il y a deux aspects à prendre en compte ici. Pour certains interlocuteurs, l’écoconception de service numérique est du greenwashing car l’impact de cette démarche est négligeable. Pour vous convaincre du contraire, je vous renvoie à l’excuse précédente sur les impacts environnementaux du numérique. Pour ce qui est des résultats de la démarche, les témoignages et retours d’expérience et vous en trouverez d’ailleurs sur le site de Greenspector : https://greenspector.com/fr/ressources/etude-de-cas/
Le second aspect à prendre compte concerne les structures qui craignent d’être accusées de greenwashing si elles communiquent sur une démarche d’écoconception de services numériques. Ce peut être parce que les structures en question sont à l’origine par ailleurs d’impacts environnementaux beaucoup plus importants, par exemple dans le cadre de leur activité principale. Pour éviter cela, il est essentiel d’être très attentif aux éléments de communication. Il s’agit de s’appuyer sur des référentiels existants et reconnus, d’expliciter autant que possible la démarche et les outils utilisés ainsi que le plan d’action. Le RGESN évoqué plus haut permet justement de structurer sa démarche et de construire sa déclaration d’écoconception. De plus, l’écoconception de service numérique ne doit pas se substituer aux autres efforts de réduction des impacts environnementaux de la structure concernée. Enfin, il s’agira de s’appuyer sur les RCP de l’ADEME (voir plus haut) lorsque ceux-ci seront disponibles afin de se conformer aux éléments suggérés pour une communication adéquate sur le sujet.
11. Mes clients ne sont pas intéressés
Les utilisateurs sont de plus en sensibles aux sujets environnementaux mais aussi à la façon dont leurs services numériques sont conçus. Il s’agit également d’améliorer l’expérience utilisateur, ce qui est un besoin essentiel mais non exprimé pour la plupart d’entre eux. Ainsi, agir pour limiter la décharge de la batterie des téléphones est un levier important pour l’écoconception, alors même que ce sujet est de plus en plus considéré comme une source d’anxiété pour les utilisateurs (https://www.counterpointresearch.com/insights/report-nomophobia-low-battery-anxiety-consumer-study/ [EN]). De même, l’écoconception peut améliorer l’expérience utilisateur en cas de connexion dégradée ou de terminal ancien voire en contribuant à l’amélioration de l’accessibilité. Inversement, attention à certaines actions qui sont parfois menées pour améliorer l’expérience utilisateur sans les consulter (et sans prendre en compte les conséquences sur les impacts environnementaux). Par exemple, l’ajout de vidéos en lecture automatique ou de carrousels pour améliorer l’attractivité. Plus généralement, communiquer sur l’écoconception permet aussi de mettre en avant l’expertise et l’intérêt porté à la qualité du produit.
12. En l’absence de contraintes légales sur l’écoconception, nous préférons prioriser l’accessibilité
Il est effectivement indispensable d’améliorer l’accessibilité de vos services numériques, d’autant plus que ceci contribue souvent à réduire leurs impacts environnementaux. Le renforcement des obligations liées à l’accessibilité des services numériques aux niveaux européen et français marque un tournant pour beaucoup de structures. En particulier, le périmètre d’application s’est élargi et les pénalités financières ont été renforcées.
Il n’existe pas à ce jour de dispositif similaire pour l’écoconception des services numériques. Toutefois, l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Electroniques, des postes et de la distribution de la Presse) porte le RGESN évoqué précédemment mais le sujet des obligations légales a été poussé directement au niveau européen via le BEREC (Body of European Regulators for Electronic Communications). Il reste donc à espérer que le sujet avancera rapidement pour que les obligations légales puissent voir le jour. Peut-être que certains pays prendront l’initiative à ce propos. Dans tous les cas, il n’est pas nécessaire d’attendre ce type de dispositif pour entamer une démarche d’écoconception. Ses apports sont de mieux en mieux connus, documentés voire mesurés. Il s’agit d’améliorer l’expérience utilisateur mais aussi de faire monter en compétence les équipes voire d’augmenter l’attractivité pour le recrutement et les clients potentiels. Alors que l’écoconception était depuis quelques années un facteur différenciant, son adoption de plus en plus large tend à en faire un facteur discriminant. Alors qu’un nombre croissant de structures s’emparent du sujet, il n’est pas souhaitable d’être à la traîne, quelles qu’en soient les raisons.
Conclusion
Les raisons de ne pas faire d’écoconception peuvent être nombreuses, notamment parce que le sujet peut paraître intimidant voire non-prioritaire. Il est important de garder en tête que l’écoconception contribue à améliorer l’expérience utilisateur mais aussi d’autres aspects du service numérique. Son intégration sur le projet doit se faire de façon progressive, le point essentiel étant de s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue. Les résultats obtenus ne seront pas parfaits du jour au lendemain. Pour autant, le premier pas peut être simple et efficace et les résultats de même que les compétences s’améliorent au fil du temps.
Laurent Devernay Satyagraha est consultant expert chez Greenspector depuis 2021. Il intervient également en tant que formateur, conférencier mais aussi contributeur sur les Web Sustainability Guidelines du W3C, le GR491 de l’INR, les 115 bonnes pratiques de greenit.fr et divers groupes de travail notamment autour du RGESN.